Construction à 4 — Adaptations & Désadaptations constantes

Matthieu Monteiro
8 min readApr 20, 2022

--

Un article qui se consacre de nouveau à cette ère d’un football qui allie plan de jeu spécifique, identité et fluidité positionnelle. Avec un focus aujourd’hui sur la phase de construction.

Il n’est plus à démontrer à quel point les défenses à 3 ont envahie le paysage footballistique européen et mondial ces dernières années. D’éphémère à aujourd’hui complétement ancrée, cette dénomination reste néanmoins sous-couvert régulièrement d’un léger abus de langage. Car en effet, rare sont les équipes qui défendent réellement avec trois éléments. Défendre avec quatre joueurs pour composer la ligne défensive reste très courant. Et avec cinq joueurs, de plus en plus habituel. Mais avec trois joueurs ? Peut-être lorsque l’une des deux équipes est dans un moment de pressing. Mais de manière générale, cette « défense à 3 » se réfère plutôt à la « construction à 3 ». S’agissant d’une tendance qui optimise autant, voire plus, les phases avec ballon telle que l’organisation offensive.

Et le profil des joueurs qui composent désormais ces premières lignes de trois joueurs attestent assez bien des objectifs tant offensifs que défensifs. Entre le classique décrochage du milieu défensif entre les centraux ou sur la largeur tel un défenseur central extérieur et, de manière toujours plus fréquente, un des latéraux qui maintient sa position pour former cette ligne de 3. Témoignage d’une première ligne qui n’est donc plus réservée qu’aux défenseurs centraux. Mais désormais à d’autre type de profil pour notamment valoriser ce moment de construction. Un milieu qui décroche pouvant apporter sa qualité dans les transmissions. Alors qu’un latéral pourra lui faire plus progresser son équipe par la conduite. Sans oublier que l’exigence envers les défenseurs centraux à la relance a elle aussi, beaucoup augmentée. Les profils évoluent, se diversifient et la première phase de construction en profite.

Avec ballon, cette organisation à trois éléments en construction est ainsi supposée offrir : une supériorité numérique et positionnelle pour que l’un centraux puisse progresser balle au pied ; une meilleure circulation du ballon d’un côté à l’autre ; plus de fluidité dans les transmissions ou encore différents angles de passe pour se mettre en relation avec le reste du bloc. Défensivement, cette disposition permet aussi de mieux contrôler les moments de perte de balle. En protégeant notamment mieux le couloir central. Et en ayant des couvertures et distances entre les joueurs plus proches qu’avec une ligne de 4. Cette dernière comportant pourtant un élément supplémentaire. Le régulier temps de jeu de Kyle Walker à Manchester City prenant en effet le contre-pied et traduisant cet objectif plus défensif. Tant de bienfaits d’ailleurs qu’on se demande pourquoi changer ?

Car juste évoquer le terme d’organisation rappelle à quel point aujourd’hui le football est plus structuré. Et malgré le concept d’inébranlabilité et de continuité de ce jeu, les moments du match que sont l’organisation offensive, l’organisation défensive, la transition offensive et la transition défensive sont beaucoup plus indentifiables qu’il y a une quinzaine d’années. Une autre époque, où le sentiment d’un jeu de transition permanent était palpable.

L’arrivée de Pep Guardiola ayant sans aucun doute eu une grande influence sur cette réorganisation du jeu. Via notamment son apologie du jeu de position. Ce football d’aujourd’hui plus ordonné, associé à une globalisation du phénomène et à un professionnalisme qui détaille toujours plus le jeu via désormais des armées analystes de tous horizons, a donc amplifié l’importance de chaque joueur, de chaque positionnement et de chaque espace. Les tendances tactiques apparaissent, se font contrer plus rapidement et des contre-propositions émergent dans le même rythme.

Comme l’explique l’actuel entraineur des Corinthians Vitor Pereira (2020) lorsqu’il indique que « du point de vue stratégique, tu analyses une équipe et tu observes qu’elle est plus forte lorsqu’elle construit par la droite. Donc tu vas essayer de faire en sorte qu’elle construise par la gauche, le côté le plus faible. Autre exemple, une équipe très forte pour combiner sur la largeur mais pas dans le couloir central, tu vas presser de façon à la conditionner vers le couloir central. C’est cette diversité qui est belle. Le football, c’est une équipe adverse qui aime une chose et à qui nous devons offrir autre chose. C’est le jeu du chat et de la souris. » Le thème d’aujourd’hui comme nouveau témoignage. La construction à 3 comme tendance et la construction à 4 (voire à 5 !) comme solution. Et ainsi de suite.

Car en effet, ces derniers mois ont vu ce phénomène se manifester de manière assez fréquente. On remonte tout d’abord à janvier dernier. Lors de cette série de trois confrontations (deux en coupe de la ligue et une en championnat) entre le Chelsea de Thomas Tuchel et le Tottenham d’Antonio Conte. Car quelques mois plus tôt, lors de leur déplacement chez les Spurs, les Blues avaient eu en effet quelques difficultés. Et notamment face à la première ligne de pression des hommes de Nuno Espirito Santos. Une ligne composée de 3 éléments qui s’était plutôt bien calquée sur la première ligne de construction du 3–4–3 de Thomas Tuchel. Quelques mois plus tard et face à cette fois l’équipe d’Antonio Conte, où le dynamisme collectif était bien différent, les inquiétudes face à des problématiques similaires étaient encore plus légitimes.

Et presque sans surprise, l’entraineur allemand s’est adapté. Modifiant structurellement un système qui offrait globalement toujours des solutions à l’intérieur et en profondeur ainsi qu’une amplitude maximale. Mais une différente manière de construire via ce 4–4–2.

Chelsea FC vs Tottenham Hotspur, League Cup, Janvier 2022 (4e minute)

Et donc cette première ligne de 4 soutenue avec les deux latéraux au niveau de leurs centraux. Cherchant à offrir comme avec la ligne de 3, un homme libre qui aura plus de temps et d’espace pour construire. Permettant ainsi de contourner très facilement via ces solutions de progression évidentes cette attendue première ligne de 3 du 5–2–3 défensif de Conte.

L’autre exemple nous vient du championnat français. Et de l’un des matches considéré comme référence dans la saison de l’Olympique de Marseille. Sur la pelouse du RC Lens en janvier dernier, Jorge Sampaoli avait lui aussi à cœur de rectifier le tir en fonction du match aller. Qui contrairement à Chelsea face à Tottenham, s’était soldé par une défaite. En effet, la première ligne de trois éléments du 5–2–3 défensif de Frank Haise au Vélodrome avait fortement conditionné et gêné les olympiens. Offrant aux lensois des repères individuels évidents tout en couvrant les lignes de passes vers l’intérieur. L’OM avait eu ainsi beaucoup de difficultés pour progresser. Et créer autant de danger qu’il n’en fallait pour battre les sangs et ors ce jour-là.

RC Lens vs Olympique de Marseille, Ligue 1, Janvier 2022 (37e minute)

Et de la même manière, l’OM s’est adaptée en concoctant cette ligne de 4 avec les deux « latéraux » reculés tout au long de la première phase de construction. Leur permettant aussi d’être préalablement plus bas pour affronter, face au jeu, un possible pressing adverse. Et étant ainsi dans de meilleures conditions pour décider qu’en décrochant dos au jeu lorsque que le ballon arrive sur leur côté. Le terme de « latéraux » indiqué entre guillemets car les deux hommes à ces postes étaient Luan Peres et Valentin Rongier. Un défenseur central plutôt à l’aise dans le jeu et un milieu de terrain de formation évoqués respectivement. Les profils utilisés rappelant l’objectif qui était d’être bien plus confortable au niveau de la construction.

Un moment d’organisation plus que soutenu par le gardien olympien Pau Lopez par ailleurs. Permettant de parler souvent de ligne de 5. Ce qui a contribué à la fluidification de la circulation et au surpassement de la première ligne lensoise. Offrant ainsi une certaine variabilité dans les circuits comme sur l’action du penalty qui emmène le premier but. Et un Valentin Rongier se déplaçant entre les lignes afin de casser le pressing adverse. L’OM de Sampaoli a pu progresser plus facilement, s’installer ainsi beaucoup plus profondément dans le camp adverse. Attirant même parfois un élément du milieu à 2 lensois pour ouvrir des espaces importants dans l’axe.

Les équipes évoquées ont donc toutes l’habitude de construire à 3. Et ont du tout de même évoluer momentanément vers cette construction 4 pour répondre aux problématiques adverses. L’idée première n’a pas changé. Les moyens cependant oui et cela contribue à l’enrichissement du modèle de jeu de ces équipes. Et à l’accroissement de leur arsenal de réponses face aux potentiels problèmes posés par l’adversaire. Le dernier exemple venu d’Allemagne traduit très bien cette pluralité des organisations qu’il faut désormais avoir.

FC Bayern Munich vs RB Leipzig, Bundesliga, Février 2022 (31e minute)

Lors de son dernier déplacement sur la pelouse du Bayern Munich, le RB Leipzig n’a pas eu recours à des changements profonds de système ou d’organisation. Dans ce duel de 3–4–3, par le simple décrochage d’un des milieux entre les centraux et le décalage du fascinant Josko Gvardiol vers un positionnement beaucoup plus assimilé à celui d’un latéral gauche, Leipzig a pu souffler. Et ainsi mieux résister à la première ligne de 3 bavaroise. Tout en créant même le danger comme sur cette action car beaucoup plus confortable avec le ballon.

Au début de l’année 2021, invité pour commenter le dernier carré de l’édition de la Coupe de la Ligue portugaise, Vitor Pereira s’est longuement penché sur le phénomène de l’organisation offensive selon le 3–4–3. Utilisé durant ces rencontres par les 4 équipes encore présentes (Benfica, Porto, Sporting et Braga). L’actuel entraineur des Corinthians faisant remarquer à l’époque que la position moyenne des pistons dans ces quatre équipes (et de manière générale) était bien trop haute dans leur couloir. Face à l’encapsulation des 3–4–3 lors de chacun de ces matches, toutes ces équipes avait eu du mal à construire. Faute de soutien quasi constant de cette solution sur la largeur. Et forçant régulièrement le jeu long face à la pression de cette première ligne de trois éléments.

Ce premier rideau de 3 joueurs se généralisant en conclusion. Afin de conditionner la construction adverse et nécessitant donc une réaction. Reconstruire avec 4 joueurs comme une des solutions développées. Qui comporte son lot d’avantages comme on l’a vu. Et son lot de faiblesses aussi car étendue sur la largeur et créant une « certaine exposition de cette ligne en cas de perte de balle » nous indique Abel Ferreira (2022). Le mot de la fin sera en effet laissé à l’entraineur de Palmeiras qui ajoute que « la construction à 4 comporte des avantages face à certains types de marquage et de pressing, d’où notre flexibilité dans le choix du meilleur type de construction à chaque match. » Le terme flexibilité rappelant l’ère de la stratégie et de la fluidité positionnelle dans laquelle se trouve le Football actuellement.

--

--

Matthieu Monteiro
Matthieu Monteiro

Written by Matthieu Monteiro

Football Analyst • Chroniqueur & Rédacteur • Ingénieur Informatique

No responses yet